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Extraits des romans - p. 1

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I New York - Je venais de débarquer d'un jet supersonique. New York ! New York, la bien aimée… Cette ville avait une odeur de soufre… Mais elle avait toujours vingt ans d'avance sur toutes les grandes métropoles, et faisait rêver. J'étais, ici, dans Manhattan en ce jour de 2034… et je levais la tête. C'est à ce genre de petit détail ridicule que l'on reconnaît que vous êtes quelque peu étranger à la ville. Mais bien peu y faisaient attention ! ; tout le monde s'en moquait, et c'était bien ainsi ! Ce n'était pourtant pas ma première visite dans ce pays. J'avais réussi à apprendre quelques mots d'anglais, et je me sentais moins isolé et beaucoup plus confiant que la première fois où j'avais dû errer dans cette mégapole.

    Au coin d'une rue une inscription en haut d'un bâtiment attira mon attention, écrite en français… de tels points de repère étaient surprenants. Cette maxime n'avait rien d'extraordinaire si ce n'était d'être fort connue : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". Que faisait là-haut cette affirmation, je n'en savais rien… car aucun indice sur la façade ne pouvait m'indiquer s'il s'agissait d'un monument. Le bâtiment était informe, monolithique, presque austère. Sa seule beauté en était cette phrase tirée de la "Déclaration Universelle des Droits de l'Homme".

    J'allai questionner un passant sur l'usage de ce building si peu conventionnel lorsque, dans la vitrine d'une agence, une affiche capta mon attention. Cette affiche publicitaire, rédigée en anglais, que je réussissais à traduire, était la même qu'au sommet du bâtiment mais avec une suite : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Mais tous ne sont pas d'accord sur ces droits et gagnent la Terre de raison". Je m'approchai de la vitrine. Dans un autre niveau de profondeur, je lus une troisième accroche publicitaire : "Là, tout y est permis, sauf honorer son prochain".

*

    Je poussai la porte de la boutique, machinalement. Dès mon entrée, deux hommes firent volte-face et me dévisagèrent. L'un était grand et costaud, l'autre plutôt petit et maigrichon. En d'autres lieux, on aurait pu croire qu'ils postulaient tous deux pour un remake de "Laurel et Hardy", mais en fait ce n'était pas le cas. Ils venaient le plus simplement du monde s'inscrire pour la Terre de raison. Après m'avoir observé quelques instants, ils se retournèrent vers l'employée et attendirent patiemment qu'elle eût fini sa conversation téléphonique.

    Je l'aperçus assise à son monumental bureau. Elle disparaissait presque derrière cette majestueuse pièce de mobilier. Ce devait être une femme de taille très moyenne. Elle portait une monture de lunettes rose indien. Fort maquillée et vêtue d'un tailleur de couleur gris tendre. C'est à peu près la seule tendresse que laissait transparaître cette femme.

 

    Elle reposa enfin le combiné et s'informa des désiderata de ces messieurs. Le premier, le gros, souleva timidement quelques questions auxquelles elle répondit d'un air distant. Puis vint la discussion qui portait sur la qualité du cercueil. Elle étendit sur son bureau un dépliant publicitaire et demanda d'un ton sec : "Choisissez ! " … L'homme hésitait cependant. Elle le toisait, hochant la tête, et finit par décider elle-même… " Celui-ci est très confortable… Vous m'en direz des nouvelles ! " … et elle ajouta encore… " Avec le cercueil, ça vous fait dix mille dollars ! Vous payez comment ? " Et sans attendre la réponse... " On préfère en cash ou en carte de crédit ! ".

    Vint ensuite le tour du second, le maigrichon, qui rêvait lui aussi de partir vers la Terre de raison. Il allait choisir sa sépulture, mais il était moins indécis. Son choix se porta sur une sorte de mausolée en marbre, importé d'Italie. Le prix en était astronomique, et je pensai déjà que la surface financière de ce bonhomme devait être plus importante que sa surface corporelle.

    J'observai cette femme qui m'interrogea soudain du regard. Je bredouillais aussitôt dans un anglais hésitant " C'est à propos de l'affiche… " … " Eh bien, oui ! " dit-elle en me regardant droit dans les yeux… " C'est la Terre de raison, vous n'en avez jamais entendu parler ?!… ".

    Non, je n'en avais jamais entendu parler… Qu'est-ce donc ? Elle me jeta un regard glacial, se pencha afin d'ouvrir un tiroir, saisit à l'intérieur quelques brochures publicitaires et les lança négligemment devant moi.
        – Lisez ceci ! … Après quoi, vous reviendrez me voir, si vous en avez envie !
     Je ramassai les prospectus, la remerciai et quittai l'agence.
     Je me retrouvai dans la rue, me posant encore plus de questions sur cette fameuse Terre de raison ?! 

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I - Mais quelle mouche m'avait, ce jour-là, piqué, moi Pierre Landier pour que je tente, à mon âge, pareil exploit ?! Je n'étais guère aventurier dans l'âme, mais peu à peu l'étais devenu…

    Et depuis des jours et des lunes, je souffrais… Le jour, par des chaleurs carrément dessiccatives ; la nuit, par la morsure du froid qui faisait éclater la roche rencontrée, préalablement chauffée à blanc.

    J'avais, la veille, fêté mes quarante-cinq ans dans le désert, à la frontière de l'Arabie Saoudite et de la Jordanie.

    Je m'étais envolé de Paris pour Amman. J'avais pris un minibus à Wahdat Station pour Pétra, l'un des plus beaux sites du Proche-Orient. J'en avais profité pour admirer la merveille architecturale des nomades Nabatéens creusée dans des grès étincelants, rouges, jaunes et bleus, dont les dessins naturels, étrangement sculptés par la couleur des pierres, rehaussaient la grandeur.
    Puis, de Pétra, j'avais gagné Wadi Rum – plus connu comme le mythique puits de Lawrence d'Arabie – à deux heures de route environ. Ici la montagne tombait en à-pic sur le sable des vallées, s'épanouissant en falaises rouges, m'obligeant d'admirer la majesté de la nature à l'état pur, et rêver.

    Et de là, j'avais préparé mon odyssée : rallier Al Jawf, un site archéologique situé en bordure des dunes du An Nafud, au nord de l'Arabie Saoudite.

    J'avais à présent des cheveux poivre et sel, une barbe aux reflets argentés taillée amoureusement chaque matin. Je m'étais coiffé d'une casquette ajourée avec une large visière qui surplombait un profil anguleux, portais un short de toile kaki et un ceinturon de cuir patiné, dégotté un dimanche aux puces de Saint-Ouen. Avec des sandales aux pieds et un extravagant barda sur le dos et sur les hanches, j'avais l'allure d'un chef scout qui se serait fait surprendre par le cours de la vie.

    D'un pas tranquille d'automate, suivant un rythme régulier, un rien saccadé, comme si mon corps paraissait déséquilibré par l'équipement inhabituel qui tintait sur son bassin, j'avais parcouru des milles et des milles et rencontré que du sable et des cailloux.
    Désormais, seule la montre sophistiquée que je portais au poignet sous un sweat-shirt blanc rythmait ma vie. D'ailleurs elle annonçait chaque heure nouvelle en carillonnant. Alors avait lieu tout un cérémonial qui, hors du contexte, aurait prêté à rire.

    Je m'arrêtais dès que le dernier coup avait retenti. Et, sans avoir besoin de jeter les yeux sur le cadran, savais l'heure. Sur le sable, j'étendais une natte de mousse, me déchaussais, prenais soin de mes pieds comme de purs trésors, les inspectant sur toutes les coutures pour être certain qu'ils ne fussent blessés, avant de leur prodiguer les soins nécessaires, en rapport avec l'effort fourni. Afin d'hydrater une peau terriblement éprouvée, j'appliquais grassement crèmes et onguents.
    Puis je sortais de mon sac un impressionnant thermos qui conservait à une température idéale l'eau à consommer dans la journée, prélevée au lever du jour sur la réserve qui, elle, s'était rafraîchie durant la nuit ; réserve qui, de puits en puits, d'oasis en oasis, s'avérait de très loin le plus gros du fardeau. Je me contentais de quelques gorgées, à peine suffisantes. Enfin, avant de repartir, je prenais soin de faire le point ; d'abord, avec la boussole qui pendait à ma ceinture ;

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I -    Mais quelle mouche m'avait, ce jour-là, piqué, moi Pierre Landier pour que je tente, à mon âge, pareil exploit ?! Je n'étais guère aventurier dans l'âme, mais peu à peu l'étais devenu…

    Et depuis des jours et des lunes, je souffrais… Le jour, par des chaleurs carrément dessiccatives ; la nuit, par la morsure du froid qui faisait éclater la roche rencontrée, préalablement chauffée à blanc.

    J'avais, la veille, fêté mes quarante-cinq ans dans le désert, à la frontière de l'Arabie Saoudite et de la Jordanie.

    Je m'étais envolé de Paris pour Amman. J'avais pris un minibus à Wahdat Station pour Pétra, l'un des plus beaux sites du Proche-Orient. J'en avais profité pour admirer la merveille architecturale des nomades Nabatéens creusée dans des grès étincelants, rouges, jaunes et bleus, dont les dessins naturels, étrangement sculptés par la couleur des pierres, rehaussaient la grandeur.
    Puis, de Pétra, j'avais gagné Wadi Rum – plus connu comme le mythique puits de Lawrence d'Arabie – à deux heures de route environ. Ici la montagne tombait en à-pic sur le sable des vallées, s'épanouissant en falaises rouges, m'obligeant d'admirer la majesté de la nature à l'état pur, et rêver.

    Et de là, j'avais préparé mon odyssée : rallier Al Jawf, un site archéologique situé en bordure des dunes du An Nafud, au nord de l'Arabie Saoudite.

    J'avais à présent des cheveux poivre et sel, une barbe aux reflets argentés taillée amoureusement chaque matin. Je m'étais coiffé d'une casquette ajourée avec une large visière qui surplombait un profil anguleux, portais un short de toile kaki et un ceinturon de cuir patiné, dégotté un dimanche aux puces de Saint-Ouen. Avec des sandales aux pieds et un extravagant barda sur le dos et sur les hanches, j'avais l'allure d'un chef scout qui se serait fait surprendre par le cours de la vie.

    D'un pas tranquille d'automate, suivant un rythme régulier, un rien saccadé, comme si mon corps paraissait déséquilibré par l'équipement inhabituel qui tintait sur son bassin, j'avais parcouru des milles et des milles et rencontré que du sable et des cailloux.
    Désormais, seule la montre sophistiquée que je portais au poignet sous un sweat-shirt blanc rythmait ma vie. D'ailleurs elle annonçait chaque heure nouvelle en carillonnant. Alors avait lieu tout un cérémonial qui, hors du contexte, aurait prêté à rire.

    Je m'arrêtais dès que le dernier coup avait retenti. Et, sans avoir besoin de jeter les yeux sur le cadran, savais l'heure. Sur le sable, j'étendais une natte de mousse, me déchaussais, prenais soin de mes pieds comme de purs trésors, les inspectant sur toutes les coutures pour être certain qu'ils ne fussent blessés, avant de leur prodiguer les soins nécessaires, en rapport avec l'effort fourni. Afin d'hydrater une peau terriblement éprouvée, j'appliquais grassement crèmes et onguents.
    Puis je sortais de mon sac un impressionnant thermos qui conservait à une température idéale l'eau à consommer dans la journée, prélevée au lever du jour sur la réserve qui, elle, s'était rafraîchie durant la nuit ; réserve qui, de puits en puits, d'oasis en oasis, s'avérait de très loin le plus gros du fardeau. Je me contentais de quelques gorgées, à peine suffisantes. Enfin, avant de repartir, je prenais soin de faire le point ; d'abord, avec la boussole qui pendait à ma ceinture ;

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Harry (soudain surpris) - Tu as vu tous ces cadrans !… En plus, c'est la tire d'un fêlé… le dingue du cadran !… Dans celle de mon vieux, y'en a juste deux, et ça suffit bien !… Mais regarde-moi tous ces machins !… On se croirait dans le cockpit d'un zinc !… Bob - Ils ne servent peut-être à rien… Harry - J'sais pas, mais, dans ce cas, c'est bien imité, car même les aiguilles tournent !… Bob - En tout cas, ce modèle, à l'extérieur, semble courant… T'as raison, un dingue du cadran, qui contrôle tout… qui sait, la pression des pneus, l'hygrométrie de l'air, la température extérieure, la position du soleil, le degré de salissure de la carrosserie, le verrouillage du capot avant, de la malle arrière… Harry (le coupant) - Et le pouls de ma grand-mère !… On s'en fout de ce que ça peut contrôler ou pas !… En tout cas, ça roule !… Et c'est le principal !… Ce soir, on sera à Las Vegas, c'est tout ce qui m'importe ! Bob - Si Dieu et les flics le veulent bien !… Harry - Pour les seconds, demande donc au premier… qu'ils ne se dérangent surtout pas !… Les routes sont si peu sûres par les temps qui courent !…

De temps à autre, ils se font doubler par des véhicules plus puissants, bien que roulant bon train. Tous deux jettent néanmoins un regard inquisiteur, bien vite rassuré quand les voitures disparaissent au loin.

Bob - Et le moteur !… Le moteur !… Où il a mis le moteur ? !… Harry - Sans doute sous la grosse saillie à l'avant, puisqu'il y a des couvercles qui se démontent…

Sur ces entrefaites, ils recommencent à comiquement tourner, inspectant les moindres recoins de l'automobile, cherchant la trappe de l'énergie. Ils finissent dépités, devant le capot, regardant, hébétés, ce coffre vide où fait juste saillie le monticule aux deux ouvertures fermées.

Harry - C'est ça, le moteur doit être là-dedans… Bob - Ça peut être que ça !… Et on n'a toujours pas trouvé où mettre de l'essence ou autre chose !… Harry - De toute façon, c'est pas un moteur ordinaire, ça !… Alors, ça doit pas rouler à l'ordinaire !… Bob - C'est pour cela qu'il n'y a pas de jauge !… Harry - J'ai une idée. Je vais démarrer. Tu vas écouter… On saura comme ça où est le moteur… C'est tout bête. Je ne vois pas pourquoi on n'y a pas pensé plus tôt.

Il se dirige vers le siège du conducteur, met en route la voiture, qui fait un bruit normal à l'intérieur, certaines aiguilles s'étant mises à bouger. Harry (par la portière) - Alors ?…

10 — POSTE DE POLICE - INTÉRIEUR - JOUR

Nous sommes au poste de police où Steve fait sa déposition. L'officier - On a dit… Ford Mustang rouge vif, en fait rouge torche comme ils l'appellent… L'un de mes amis a la même… Pas de signe distinctif extérieur ?… Steve - Rien de particulier. Ah, si… on ne voit pas de bouchon à essence. L'officier - Ah, vous l'avez planqué !… Vous avez bien raison ! Avec tous ces siphonneurs qui ont une façon particulière de passer à la pompe !… À part ça ?… Steve - Rien. L'officier - La carrosserie ?… Quel état ?… Éraflures… ou plus abîmée… Steve - En très bon état, polishée, sans la moindre égratignure. L'officier (avec humour) - On fera la sortie des chaînes des usines Ford pour en retrouver une semblable !… En général, celles que l'on récupère, le cas échéant, elles sont plutôt du style stock-car, si vous voyez ce que je veux dire !… Steve - Très bien. Mais Isotop 400 risque de ne pas aimer… L'officier - Qui est Isotop 400 ?… Le petit nom de votre bien-aimée ?… Étrange, comme surnom… Steve - Non… pas ma légitime… ma maîtresse… L'officier - C'est son prénom, Isotop… c'est pas courant… et 400… livres, c'est un peu trop, tour de… eh bien, mon ami, vous n'avez pas fini d'en faire le tour !… Steve - C'est ma voiture, celle qu'on m'a volée !… Ma maîtresse en quelque sorte, puisque je lui consacre tout mon temps libre… J'essaye d'entrevoir ses desseins les plus secrets, je lui parle, la caresse, je la forme, la conseille, lui murmure des mots doux, lui enseigne mes lois… L'officier - Et vous la baisez quand ?… Steve - Que vous êtes vulgaires dans la police !… On parle de philosophie de l'âme, et tout de suite vous ne vous bornez qu'à l'essentiel !… L'officier - Dois-je citer Isotop… combien déjà… dans le rapport ?… Steve - 400… Isotop 400… Ça signifie 400 règles… C'est un prototype camouflé. L'officier - Dois-je citer : “prototype camouflé” dans le rapport ?… Steve - Vous citez ce que vous voulez !… Je vais pas vous apprendre votre métier !… Je pense que “prototype” peut être bon, d'autant plus qu'il peut devenir dangereux, entre les mains de n'importe qui… L'officier - Ah… Pas en état… Dois-je déjà verbaliser, ou j'attends l'accident ?… Steve - Bien sûr qu'elle est en état !… Mais Isotop 400 est ma création, qui n'obéit, comme toute créature de rêve, qu'à son maître… À part ça, elle est en parfait état de fonctionnement, selon les décrets et lois en vigueur… Mais elle n'est encore, pour son développement intelligent, qu'au stade expérimental.

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