Julien GABRIELS - romans
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Extraits des romans - p. 4
I
(pages 11 à 13)
Paul venait de pousser la porte à tambour d’un rade si branché qu’il n’accéda au bar que difficilement !… Tant il y avait de monde !… Il avait envie de s’évader… Dès le premier coup d’œil, le lieu lui plut, à la fois par la fantaisie du décor et ses dimensions hors du commun : on y respirait en dépit de la foule !
Aucune femme fatale en vue !… Tant mieux ! songea-t-il. Il pourrait boire plus que de raison, pour oublier les turpitudes de la journée. Il commanda une Adelscott. Trois balles, lui dit-on. En bon français, on aurait parlé d’euros, mais, ici, c’étaient des balles !… Pourquoi ?… C’était sans doute « chébran » !
Les yeux vagues, rivés sur des bulles qui s’épanchaient, il méditait, insouciant de l’agitation des noctambules. Il jeta subrepticement un regard vers un halo fade sur le mur, y représentant la pendule : minuit dix ! À quelle heure était-il entré ?… Peut-être aux douze coups de minuit, comme dans un conte singulier !…
Tandis qu’il observait la promptitude des barmaids et barmans, une blonde était arrivée auprès de lui. Devait-il lui faire la causette, ou passer pour un goujat ?… À cette heure, il n’avait nullement envie de pérorer ! Il la regarda néanmoins par politesse. Elle lui sourit. Il lui rendit sa marque de courtoisie.
— Alors, poupée, tu baises ? !…, entendit-il soudain à proximité, fortement et bien clairement exprimé…
La fille ne broncha point. Cette question lui était pourtant adressée ; et par un gus qui avait visiblement, ce soir, pété les plombs !… Lequel réitéra son offre ! Elle ne sourcilla guère. Après tout…, quelques banalités…, projetait déjà Paul…, et il pourrait, qui sait ?, l’inviter… Or il se fit souffler le joyau. Il replongea donc dans sa mousse et ses pensées. Mais soudain étonné du silence à son côté, il leva les yeux pour voir la jeune femme se singulariser comme sourde et muette… Et lui qui ne connaissait rien de la langue des signes !
Pourquoi son colis n’était-il pas encore arrivé ?…, se demandait-il. Il tentait d’y trouver maintes explications. Se serait-on trompé d’adresse ? Le lui aurait-on volé dans sa boite aux lettres ? Impossible !… Il ne pouvait pas même y glisser sa fine main !… Y aurait-il des grèves larvées ?… On n’en entendait toujours pas parler !… Aurait-on oublié d’y faire figurer le pays ? Mais qui ne connaissait pas Paris ? Quoique… Allez savoir !…, un original qui ne prendrait pas la tour Eiffel pour le centre du Monde !… En attendant, son contenu lui était primordial, autant ce soir que quelques mousses qui le feraient, d’ici quelques heures, planer !…
Il redemanda une Adelscott, et, ce faisant, dut se tourner vers sa voisine. Elle semblait dans quelque rêverie, sirotait un cocktail. Putain, qu’elle était bien roulée !… La bière arriva. Il tendit un billet.
Bon, ce colis…, qui occupait malgré lui son esprit !… Après tout, s’il était ici, c’était pour ne plus penser…, oublier… Mais on lui tapait à l’instant sur l’épaule pour lui suggérer…, et par signes…, de faire attention à quelques effets personnels, le temps de faire un tour aux toilettes… Force fut de s’intéresser à la « poupée ». Tiens, un roman ouvert, et en russe, apparemment ! Au jugé, vu le physique et l’habillement, elle aurait pu sans conteste venir du froid !… Quasi rien sur le dos par une température avoisinant le zéro !… Il dut « se battre » deux fois pour protéger les affaires de la demoiselle, dont on faisait fi ! Elle reparut sous peu, le remerciant d’un sourire. Il lui offrit un verre. Elle refusa gentiment, elle devait partir.
Une heure plus tard, elle était toujours ici, entourée de guignols et de gugusses !… Pour lui, il était temps de s’échapper, de prendre quelques minutes le frais, avant de rallier son gite, à pied ou en taxi ; à cette heure, le dernier métro était passé depuis belle lurette !… Comme il s’en allait, il sentit son regard… Il lui adressa un salut discret. Une qui resterait ce soir en filigrane !…
Dehors, il hésita : rentrer chez lui ou faire la foire ?… Le froid le saisit, le faisant d’ores et déjà greloter. Se mettre au chaud l’emporta.
I - À l’écart de l’affluence des grands jours, un feu de signalisation ferroviaire venait de changer de couleur. Les voies étaient désertes ; seul un chien égaré errait sur le ballast à la recherche de rares détritus, le plus souvent emportés et disséminés par le vent.
Tendant l’oreille, le corniaud s’enfuit aussitôt pour franchir un grillage troué par endroits. Car se dessinait à l’horizon et grandissait un convoi.
Presque simultanément, un autre train apparut en sens inverse, en provenance de la gare du sud, toute proche.
Là, sous une verrière flambant neuve de la nouvelle gare, Grand-Paris Sud, à l’esthétique industrielle recherchée, la voix suave d’une hôtesse annonçait une arrivée imminente tandis que démarrait un jingle dans le but de capter l’attention des voyageurs :
« Arrivée à 22 h 33, voie numéro 10, du TGV 8584 en provenance de Saint-Jean-de-Luz. »
Reprenait aussitôt la même tonalité doucereuse et haut perchée :
« Voie 12, le train de nuit 3751 à destination de Bordeaux Saint-Jean partira à 22 h 57 ; ce train desservira la gare de Montauban. »
Quais numéros 5 et 6, le timbre officiel et féminin était quelque peu couvert par l’arrivée, voie 10, du précédent convoi qui avait fait fuir le clebs, de même que par le brouhaha de gamins partant en colonie de vacances, voie 9.
Quai 5, voie 10, les voyageurs descendaient maintenant des différents wagons. Assis sur un banc à proximité, les observait un homme intéressé. Habit élimé mais propret ; visage un rien émacié mais bien rasé : il n’était pas question d’effrayer la rare clientèle !
— Toine !… Quelqu’un pour toi ! cria l’un des responsables de quai.
Lequel agent, képi vissé sur un profil anguleux, était assis à un pupitre de contrôle ambulant qu’il déplaçait au gré des départs et des arrivées ; commandant à distance des informations ponctuelles pour les usagers : une sorte de service de proximité, en somme. Il venait d’entrapercevoir une dame d’un âge respectable se démenant avec un bagage encombrant qu’elle avait grandes difficultés à faire tenir debout. Sans doute une piécette bienvenue pour Toine !… ; et il en avait besoin !…
Toine, de taille moyenne, était malgré tout bien charpenté ; avec un nez camus posé sur un visage buriné par le temps et les privations, un éternel béret basque lui servant de couvre-chef.
Or, Antoine l’avait également entrevue, cette femme, parmi maintes gens pressés. Il accourut aussi vite qu’il le put sur des jambes usées par des décennies de vagabondage…
Sous l’effort, il haletait à présent, tandis qu’elle cherchait déjà l’idoine pièce adaptée à la soudaine suée.
— Elle est très lourde, n’est-ce pas ? susurrait-elle au miséreux au moment où tous deux arrivaient au niveau du contrôleur au pupitre mobile.
Toine avait en effet un mal de chien à faire progresser l’imposante valise dont une roulette était hors d’usage.
— Dépêche-toi de revenir ! lui glissa l’homme au képi… J’ai un ami qui aurait aussi besoin de tes services !
— J’ai qu’deux bras !…, maugréait Toine qui transpirait déjà plus que de coutume. Foutu bagage ! pestait-il…
— Je te garde mon pote au chaud ! Tu le regretteras pas !… J’finis mon travail dans dix minutes… On ira s’en j’ter un tous les trois ! J’vous invite…
— C’est pas de refus !… Le temps d’arriver aux taxis, j’s’rais déshydraté !…
— Au départ, elle roulait bien, cette valise !…, lui assurait la dame, contrite et quelque peu embarrassée par cet état de fait tandis qu’elle cheminait à petits pas au côté d’Antoine… Je ne sais pas ce qui se passe.
— À tout de suite ! reprit le contrôleur derrière leur dos…
C’était sa manière, à cet homme, de soulager comme il le pouvait les misères du monde… Toine, depuis des décennies, les partageait toujours, ces misères !… Aujourd’hui, il faisait partie des meubles de la nouvelle gare, en quelque sorte… ; et personne ne se serait avisé de le mettre au rebut !
*
Entretemps s’était écoulée une petite heure… Sa journée terminée, Antoine s’était écarté des voies les plus fréquentées. Il se reposait sur un banc éloigné des plateformes car il craignait les importuns.
Le soleil du soir dardait encore les rails chauffés à blanc au cours de l’après-midi. Et la réverbération de la chaleur noyait le tout dans un flou artistique.
Toine n’était en rien blasé et, sans nullement se lasser, continuait d’observer les trains qui arrivaient. Cette fois, c’était un convoi de marchandises, juste de passage et rare en ces lieux, car cette gare n’acceptait d’ordinaire que des trains de voyageurs.
Dans le lointain, l’on percevait encore, en murmure, la voix de la speakerine : « Le TGV 6134, en provenance de Marseille Saint-Charles, va entrer en gare. »
Tout à coup, à l’horizon, ressurgit un autre convoi. Sous peu, il se videra de ses voyageurs pressés ou fatigués, mais ravis d’être enfin arrivés à destination. Antoine – puisqu’il n’avait plus que ça à faire – observait sur le bas-côté la lente progression de trois chemineaux en file indienne. Puis apparut subitement un autre serpentin qui grandit sous ses yeux pour ensuite s’engouffrer sous la verrière nimbée des derniers rayons du soleil. L’homme perçut encore un jingle adapté à l’évènement qui allait suivre, puis la voix d’une hôtesse en faire l’annonce : « Le petit Christian, qui s’est perdu, est attendu par ses parents au bureau d’accueil principal. Il porte un jean de velours bleu ciel, un chandail jaune poussin, des Kickers et un petit cartable plastifié, bleu-marine et rouge, sur le dos. Nous demandons à toute personne qui l’apercevrait de le diriger vers un agent du rail. Par avance, merci à tous de votre aimable collaboration… »
D’un rouge vif, le soleil déclinait lentement sur le réseau ferroviaire. À présent, le banc sur lequel Toine s’était précédemment reposé était inoccupé… Y trainait encore un journal du jour… À proximité, un signal lumineux changea de couleur… On annonçait une demi-heure de retard pour un train de nuit qui ne devrait entrer en gare qu’à deux heures et demie du matin au lieu des deux heures initialement prévues.
Un pigeon noctambule s’envola en se détachant, telle une chauvesouris, sur les lumières de la ville qui s’endormait peu à peu.
*
La nuit était déjà bien avancée. On s’en rendait compte à de menus détails : trottoirs déserts, peu de mouvements de véhicules, oiseaux endormis dans les arbres et bien à l’abri de feuilles juvéniles. Il y avait toutefois et toujours, les attardés habituels ; et, parmi eux, un jeune homme d’environ vingt-huit, trente ans, costume clair, chemise fantaisie, le tout dans un désordre bon enfant : liquette largement ouverte sur un poitrail musclé, cravate unie ceinte autour des hanches à la façon d’une écharpe de maire. Il avait, semblait-il, joyeusement fêté cette soirée !…
I -
Une main aussi pure qu’un diamant tourna la vingt-cinq-millionième page du « Grand livre de la connaissance universelle ».
Par transparence, six doigts complexes laissaient entrapercevoir leur mécanique intrinsèque, et semblaient déchiffrer le texte inscrit dans le livre d’or.
On y relatait qu’au cœur de l’univers en expansion, dans une fort lointaine galaxie, allait avoir lieu un évènement exceptionnel. En réalité cosmique se conjuguaient passé, présent et futur, et seuls quelques « grands prêtres » ou sommités pouvaient les consulter et savaient les décrypter.
Du reste, sur Crusadée et des millénaires durant, avait été entretenue la légende d’une expédition perdue sur une planète de la Voie lactée, expédition que l’on imaginait avoir disparu à tout jamais. Ou peut-être avoir été mise en sommeil… ; jusqu’à ce jour…
*
Nous étions, ce jour-là, en pleine guerre, dite du Vietnam, sur cette lointaine planète, que ses habitants avaient appelée Terre, mais que l’on nommait ici Hydroxy-26 ou encore Imohé-8, car cette planète avait été découverte par l’illustre astronome Imohé, Pantarque, Nazurkien, de la lignée des Nepty, parmi sept autres astres en gravitation autour d’une même étoile. D’où la terminaison de cette dénomination Imohé par : tiret 8.
C’était au beau milieu du vingtième siècle, du calendrier grégorien.
5 h 7. Michael, aux commandes de l’un des bombardiers, un Boeing B-52G, osa un regard vers David qui venait de jeter les yeux sur sa montre. Alors qu’approchait l’heure H, leurs cœurs s’étaient mis à battre la chamade. Derrière eux, préparés et armés jusqu’aux dents, nombre de soldats étaient prêts à sauter. Personne ne se serait imaginé que ces G.I. avaient une quelconque peur. Car pour beaucoup ils étaient des héros… et un héros, par essence, n’a point les foies !
On allait sous peu les larguer…
Maintenant, en s’amplifiant, se propageait un drôle de murmure… Go ! Go ! Go ! À la queue leu leu, les paras quittaient la carlingue et s’égaillaient dans un air surchargé de poudre et de sang. Dans un ballet sans fin surgissaient des entrailles des monstres volants toutes sortes de silhouettes, bientôt nappées par une brume montant du sol.
Il s’agissait de l’opération « Nimbus ». Quant à la portion de terre vietnamienne préalablement dorée au napalm, elle avait comme douce appellation : Sam-shong.
Les objectifs s’étaient avérés fort clairs pour l’État-major, mais quelque peu obscurs pour les participants, y compris pour les pilotes des avions ainsi qu’une partie de leurs équipages.
À l’époque, beaucoup luttaient pour une certaine forme de démocratie… En réalité, certains allaient respirer là leurs derniers effluves de leur existence de mortels. Demain, viendra, qui sait ?, le temps de les glorifier : tantôt avec des fleurs, tantôt des louanges, des souvenirs, voire des larmes… ; tombés au champ d’honneur, selon l’expression consacrée.